L’abandon du tabagisme comme traitement de première ligne du cancer – Bon pour les patients et le système de santé

Dre Renelle Myers parle d’un nouveau cadre d’action visant la prestation de programmes de soutien à l’abandon du tabagisme dans tous les centres de cancérologie au Canada ainsi que des avantages importants de ce type de soutien aux patients sur le plan de la santé et de l’économie

Qu’est-ce que le Cadre d’action? À qui s’adresse-t-il?

Le Cadre d’action pancanadien pour la mise en œuvre de l’abandon du tabagisme dans les soins contre le cancer présente une façon simple et systématique de mettre en œuvre des programmes d’abandon du tabagisme dans les centres de cancérologie. Ce document a été élaboré à l’intention des intervenants qui supervisent les centres de cancérologie au Canada, y compris les gouvernements provinciaux et territoriaux, les organismes de lutte contre le cancer ainsi que les administrateurs et les fournisseurs de soins de santé. Il vise à faciliter la collaboration entre ces groupes pour créer des programmes efficaces d’abandon du tabagisme qui combinent le counseling comportemental, la pharmacothérapie et un soutien en matière de suivi et de prévention des rechutes. Son objectif est de préparer l’avenir pour que chaque patient atteint de cancer, peu importe où il réside au Canada, reçoive un soutien à l’abandon du tabagisme afin de bénéficier du meilleur traitement et de la meilleure qualité de vie possible.

Pourquoi les centres de cancérologie doivent-ils mettre en œuvre des programmes d’abandon du tabagisme?

Les données indiquent clairement que si vous êtes atteint de cancer, arrêter de fumer avant votre traitement améliore les chances de réussite. Cela s’applique à tous les traitements contre le cancer, y compris la chimiothérapie, la radiothérapie et les interventions chirurgicales. Ne pas fumer permet également d’atténuer les effets secondaires et de réduire les risques de complications suivant le traitement. Ainsi, non seulement les programmes de soutien à l’abandon du tabagisme des centres de cancérologie améliorent-ils l’état de santé des patients, mais ils contribuent à l’amélioration des résultats économiques associés au système de lutte contre le cancer. Des données récentes montrent que l’abandon du tabagisme avant un traitement réduit le taux de mortalité attribuable au cancer de 30 à 40 %1. Des simulations montrent également que des économies de 50 à 74 millions de dollars sont réalisées pour chaque tranche de 5 % de patients atteints de cancer qui cessent de fumer2. Ces économies découlent du fait que les interventions des fournisseurs de soins de santé sont plus efficaces, que ces derniers consacrent moins de temps à réadministrer des médicaments, que certaines interventions chirurgicales peuvent être évitées et que l’on engage moins de dépenses liées à des médicaments supplémentaires tels que des cycles de chimiothérapie.

En plus des bienfaits fondés sur des données probantes pour les patients et le système de santé, l’établissement de programmes d’abandon du tabagisme dans les centres de cancérologie contribuera à la réalisation collective de l’une des priorités de la Stratégie canadienne de lutte contre le cancer (2019-2029). Le Partenariat canadien contre le cancer (le Partenariat) coordonne la mise en œuvre de cette stratégie et collabore avec les provinces et les territoires pour apporter des changements au système de lutte contre le cancer et veiller à ce que tous ceux qui sont atteints de la maladie aient accès à des traitements et à des soins durables et de qualité. Le Cadre d’action contribuera aux mesures particulières de la Stratégie qui favorisent l’abandon et la prévention du tabagisme chez les patients atteints de cancer et qui mobilisent les Premières Nations, les Inuits et les Métis afin d’élaborer des approches appropriées d’abandon du tabagisme.

Pourquoi le Cadre d’action a-t-il été élaboré?

En dépit des solides données probantes démontrant les effets positifs de l’abandon du tabagisme, environ une personne sur cinq au Canada continue de fumer après un diagnostic de cancer. De plus, de nombreux centres de cancérologie au Canada n’offrent toujours pas de services sur place de soutien à l’abandon du tabagisme. Cela s’explique par de nombreuses raisons. Premièrement, les oncologues et les autres soignants des centres de cancérologie ont tendance à se concentrer sur la préoccupation la plus immédiate, soit le traitement du cancer. Chez les patients, l’abandon du tabagisme peut devenir secondaire. De plus, de nombreux professionnels en oncologie ne savent pas à quel point l’abandon du tabagisme peut améliorer les résultats du traitement et le considèrent plutôt comme un renfort facultatif. Par ailleurs, dans les centres de cancérologie, nous constatons malheureusement que le tabagisme et le cancer sont encore stigmatisés. Nombreux sont ceux qui, dans le système de santé, pensent que les fumeurs sont responsables de leur maladie en raison de leur mode de vie, et cela peut diminuer le soutien à l’abandon du tabagisme reçu par les patients lorsqu’ils amorcent un traitement contre le cancer. Toutefois, des données de plus en plus nombreuses indiquent qu’il n’est jamais trop tard pour cesser de fumer et que cela peut avoir d’importants bienfaits sur les résultats thérapeutiques et le système de santé en général. Le Cadre d’action vise à combler une lacune dans le système en fournissant aux administrateurs des centres de cancérologie une orientation étape par étape pour les aider à mettre en œuvre des programmes complets d’abandon du tabagisme fondés sur des données probantes afin que tous les patients atteints de cancer soient soutenus dans leur démarche d’abandon du tabagisme dès le moment du diagnostic.

Des mesures de soutien à l’abandon du tabagisme existent déjà dans toutes les provinces et tous les territoires. N’est-il pas redondant de les offrir dans les centres de cancérologie?

Il est vrai qu’il existe déjà de nombreux programmes pour aider les Canadiens à cesser de fumer, mais ces programmes prennent souvent des mois avant de donner des résultats. Pour les fumeurs atteints de cancer, la situation est urgente, car il est préférable de cesser de fumer au moins deux semaines avant de recevoir un traitement pour obtenir un effet maximal. Dans l’idéal, le soutien à l’abandon du tabagisme devrait être offert au moment du diagnostic. Le mieux serait de procéder à un dépistage du tabagisme à la première visite chez l’oncologue et que les patients fumeurs soient alors informés des avantages de cesser de fumer puis dirigés vers un programme d’abandon du tabagisme et un conseiller sur place. L’approche la plus efficace consiste à créer un processus harmonieux pour diriger sans heurts les patients vers le soutien dont ils ont besoin pour cesser de fumer dans le cadre de leur plan complet de traitement du cancer.

Ces nouveaux programmes d’abandon du tabagisme représenteront-ils un fardeau financier?

La création de programmes d’abandon du tabagisme dans les centres de cancérologie nécessitera des investissements au démarrage, mais leurs avantages économiques à long terme supplanteront largement les coûts. Par exemple, le traitement initial du cancer colorectal coûte au système de santé environ 28 000 $3. Le tabagisme réduit l’efficacité du traitement, ce qui entraîne parfois une récidive obligeant le patient à suivre un traitement supplémentaire. Le plan de soutien le plus complet pour l’abandon du tabagisme, qui comprend du counseling individuel, des thérapies de remplacement de la nicotine, une pharmacothérapie et des mesures de suivi, ne coûterait que 5 300 $3.

Si le programme fonctionne et qu’un patient cesse de fumer, le système de santé réalise d’importantes économies, car le patient pourra peut-être alors éviter de subir des traitements supplémentaires contre le cancer.

Nos simulations montrent que la mise en œuvre de mesures d’abandon du tabagisme dès le début du traitement du cancer chez les patients occasionne en retour des économies qui se chiffrent en millions de dollars2.

Quelles sont les prochaines étapes du Cadre d’action?

Le Partenariat a dirigé la création du Réseau pancanadien d’abandon du tabagisme en lien avec les soins contre le cancer. Ce réseau, composé de représentants de la lutte contre le tabagisme et contre le cancer dans chaque province et chaque territoire, a dirigé la mise en œuvre de programmes d’abandon du tabagisme dans de nombreux centres canadiens de cancérologie. Par exemple, le BC Cancer Centre a obtenu un taux de réussite considérable en aidant les patients à cesser de fumer et, à terme, en réduisant l’utilisation de ressources liées à des traitements supplémentaires contre le cancer. Néanmoins, il reste encore du travail à faire pour atteindre notre objectif, soit que 100 % des centres de soins ambulatoires contre le cancer offrent des programmes d’abandon du tabagisme d’ici 2022. Ces efforts sont actuellement axés sur la présentation du Cadre d’action aux responsables des orientations politiques et de la qualité des soins dans les centres de cancérologie partout au pays.

Que pensez-vous personnellement du Cadre d’action?

Je pense que le Canada a réalisé de grands progrès dans la communication des méfaits du tabagisme et dans l’adoption de politiques qui restreignent l’accessibilité du tabac. Par conséquent, nous constatons que les taux de fumeurs quotidiens continuent de diminuer au sein de la population générale. Toutefois, je constate que des lacunes persistent dans l’aide apportée aux patients atteints de cancer qui souhaitent cesser de fumer. Cela doit changer. Aider un patient à cesser de fumer dès son arrivée dans le système de lutte contre le cancer aurait un impact profond sur l’issue de son traitement et réduirait considérablement l’utilisation des ressources du système de santé, si ces mesures sont appliquées correctement. Nous devons revenir à l’essentiel, c’est-à-dire à la notion que si un patient cesse de fumer au moment de son diagnostic de cancer, il vivra mieux et plus longtemps, avec une plus grande probabilité que le cancer ne revienne pas. Outre l’aspect humain, si vous êtes un décideur, les programmes d’abandon du tabagisme peuvent aussi être une mesure efficace pour la santé économique du système de lutte contre le cancer.

La Dre Renelle Myers est pneumologue thoracique à la régie de la santé Vancouver Coastal Health et professeure agrégée à l’Université de la Colombie-Britannique. Elle a dirigé l’élaboration du Cadre d’action pancanadien pour la mise en œuvre de l’abandon du tabagisme dans les soins contre le cancer.

Références 
1- Toll, B. A., Brandon, T. H., Gritz, E. R., et coll. (2013). Assessing tobacco use by cancer patients and facilitating cessation: an American Association for Cancer Research policy statement. Clin Cancer Res, 19(8), 1941-8. doi : 10.1158/1078-0432.CCR-13-0666.
2- Iragorri, N., Essue, B., Timmings, C., Keen, D., Bryant, H., et Warren, G. (2019). The cost of failed first-line cancer treatment due to continued smoking in Canada. Fait l’objet d’un examen.
3- Partenariat canadien contre le cancer. (2017). Estimations des principaux coûts du traitement contre le cancer et de l’abandon du tabagisme au Canada. Disponible à l’adresse: https://stg.partnershipagainstcancer.ca/fr/topics/key-costs-cancer-treatment-smoking-cessation-canada/.